Diogène et le XXIe siècle

Le cas Onfray

Orientation :

Le cas Onfray, au-delà de la personnalité de cet auteur, me paraît cristalliser une fermeture de l'intelligensia comme on a pu en connaître dans le passé, fermeture qui contraste avec un désir de connaissance dont on pourrait parfois remettre en cause les fondements.

Texte :

Adulé par les uns, exécré par les autres, Michel Onfray est le lieu d'un combat aux facettes multiples. Un simple regard sur la sociologie des forces en présence montrerait qu'il y a, du côté des laudateurs, un classe « moyenne » plutôt cultivée et ayant déjà entraperçu les rives dorées du fleuve de la connaissance et, du côté des incendiaires, un ensemble hétéroclite mais très bien imbriqué d'universitaires, de journalistes et d'essayistes qui font la culture médiatique intellectuelle contemporaine. C'est ainsi que Michel Onfray fait le plein à l'Université populaire de Caen et voit les éditeurs lui manger dans la main alors même qu'il est régulièrement brûlé vif chez France-Culture et ailleurs (Dans l'émission « Tout est possibel«  par exemple lors de la sortie de son dernier ouvrage.). Là, on lui reproche la faiblesse de ses analyses, la vacuité de ses propos, le pastiche des grands philosophes dont il serait coupable. Plus grave, on a pu, à juste titre d'ailleurs et comme BHL en sont temps, l'accuser de prendre des libertés avec les citations, mal connaître les sources qu'il utilise et les resservir dans le sens de sa démonstration. Pour faire court, on l'accuse de malhonnêteté intellectuelle. Pour autant, ses thuriféraires le louent parce qu'il met à leur portée une histoire de la philosophie qui de loin leur apparaît comme très ardue ailleurs. Evidemment, il ne faut pas entrer en philosophie par le « Mille plateaux » de Deleuze et Guattari ou par le premier venu des ouvrages de Derrida. Et c'est là que tout se joue pour Onfray car il occupe une place laissée vide par les professionnels de la philosophie. Vulgariser est vulgaire. Soit! Onfray s'y attelle. Et les deux points de vue ne se neutralisent pas au point de s'annihiler et laisser la place déserte. Et cela parce qu'ils sont légitimes, autant l'un que l'autre. Mais l'opération de neutralisation laisse un reste comme peut le faire une division. Ce reste, c'est encore Onfray, l'autre Onfray, celui qui sermonne Philippe Sollers chez Guillaume Durand en pérorant qu'il faut « lire Heidegger » et ne pas en parler à tout bout de champ avant que de planter une banderille préparée des jours durant : « il y a même une théorie du bavardage chez Heidegger » (je cite de mémoire) comme pour rapporter les propos de son interlocuteur aux vacuités des conversations quotidiennes sans profondeur. Cet Onfray est philosophe, il a écrit une Contre Histoire de la Philosophie un tantinet psychotique mais non sans intérêt. Il reprend la thèse nietzschéenne selon laquelle une philosophie doit toujours être mise en regard avec la biographie de celui qui l'a bâtie. C'est un hédoniste qui, au passage, pose pour les photographes de Philosophie Magasine ou autres en offrant presque toujours un visage gravissime, affairé et transcendantal. Il écrit des chroniques (souvent mauvaises) dans ce dernier mensuel, dans le réactionnaire Siné Hebdo. Il est de gauche. Il publie régulièrement. Etc… Onfray est partout, tout le temps. C'est une bête médiatique, une hydre même. Mais collatéralement, il fait vendre les autres, non pas ses contemporains qui le détestent et, à l'endroit desquels il doit entretenir de semblables sentiments, mais les grands philosophes du passé, ceux qui sont les gardiens du troupeau philosophique. Il invite à se plonger dans les textes des philosophes, il incite, il provoque, il demande à son auditoire de ne point se soumettre à la logorrhée des Hegel et autres philosophes qui écrivent plus avec leurs pieds qu'avec tout autre partie de leur corps. Bien sûr, ses cours sont perclus de tics de langage qui feraient se bidonner Lacan voyant à chaque fois se vérifier une de ses intuitions sur les actes manqués. Oui, tout cela est vrai et plus encore. Onfray ne sera jamais un grand philosophe capable de reprendre l'œuvre d'un grand et de la prolonger dans une perspective personnelle ou de se bâtir un système qui ne doit rien à personne comme a pu le faire Whitehead ou de s'emparer philosophiquement d'une grande question de société pour en éclairer les aspects les plus métaphysiques. Mais à ce jeu là, il est loin d'être le seul. Mais plus sérieusement, l'existence de Michel Onfray est la preuve de l'existence d'un interstice grandissant entre science et société au moment même où la science impose au monde une marche effrénée vers une toujours plus grande technologisation alors même que la mondialisation allait imposer une baisse du temps libre. Il y a comme un concentré de révolte chez Onfray, un recours médiatique démocratique. Tel un Hercule tenant d'une main la masse des lettrés privés du temps nécessaire pour entrer comme il se doit en philosophie et de l'autre les nantis de l'ordre intellectuel jaloux de leur savoir et de leur prérogative alors même que les honneurs et la reconnaissance leur échappent dans la ploutocratie médiatique mondiale.

Nietzsche, sur qui Onfray a laissé paraître un ouvrage de jeunesse d'une platitude absolue, aurait très bien pu dire qu'il faut de tout pour faire un monde et donc un Onfray. Sur ce point je suis en accord parfait: Vive Onfray.

Mais, ceci dit et n'étant que mon opinion, j'aimerais avoir vos idées sur le personnage…



27/11/2008
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